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Conformément à ses statuts et objectifs, le Syndicat national des architectes algériens agréés entend contribuer à instaurer un vrai débat sur l’architecture et le métier d’architecte en Algérie. Ainsi, dans l’après-midi du 21 juin 2014, le SYNAA a organisé le premier Café de l’Architecture, appelé à devenir un rendez-vous pertinent et convivial de discussion décloisonnée, ouvert non seulement à toute la profession, mais également aux artistes, écrivains, et hommes de culture de manière générale, comme à tous ceux qui s’intéressent à l’architecture et à ses pratiques dans notre pays.
Intitulée «L’Algérie sans architecture ?», cette première édition des «Cafés de l’architecture» dont la médiation a été assurée avec brio par Ameziane Ferhani, journaliste responsable de la rubrique Arts et Lettres d’El Watan, a eu lieu à Dar Abdellatif, une des pièces maîtresses du fahs d’Alger. Un cadre idéal par la qualité de son architecture, mais aussi un espace du ministère de la Culture que le SYNAA a voulu investir pour déjà replacer l’architecture – premier des arts – parmi les autres arts en rappelant, si besoin est, qu’elle est avant tout un acte de création, un acte culturel.
Partant du constat d’une production actuelle d’architecture en rupture totale avec une histoire et un patrimoine – anciens et modernes – dont la richesse aurait pu constituer une source innovante de connaissances et de références, éloignée du pastiche, de l’imitation et de la démarche anecdotique, les initiateurs de la rencontre postulent – vital et urgent – de repenser totalement les mécanismes de production de l’architecture et de l’urbanisme et ce, depuis la définition des besoins jusqu’à la conception et la réalisation, en passant par le cœur de la problématique, à savoir la commande et le rôle de l’architecte et de l’urbaniste.
La thématique choisie a été ainsi déclinée en trois moments :
• Le regard de l’émotion, durant lequel autant le cinéaste Ahmed Bedjaoui, le musicien et anthropologue Nour Eddine Saoudi, les écrivains Samir Toumi et Hadjar Bali et enfin le plasticien Mustapha Nedjai ont parlé de leurs visions de l’architecture et de ses rapports avec leurs disciplines respectives. Ahmed Bedjaoui n’a pas manqué de saluer l’initiative du SYNAA, laquelle lui rappelle, dira-t-il, les années 1960, qui se singularisaient par la capacité qu’avaient les intellectuels, les créateurs et les artistes à se rencontrer, qualifiant la rencontre de signe que la société civile s’organise enfin pour prendre en charge la culture et la création, de manière non violente, mais ferme ; cela avant de développer les rapports étroits que le cinéma a toujours entretenus avec l’architecture. …
L’ensemble des intervenants s’est accordé à relever que les processus de création dans leurs domaines respectifs procédaient bien de la construction tout autant que l’architecture, que cette construction réfléchie est un moyen d’aboutir au résultat final, l’œuvre qui, elle, s’adresse aux sens et à l’intellect. Ce que Nouredine Saoudi a magistralement exposé à travers l’exemple particulier d’une dissection soignée de la musique andalouse.
• Le regard de la réflexion, centré sur les rapports de l’architecture à la sociologie, a été celui de l’enseignante Ghania Lahlouh, de la sociologue Samira Bounaira et du sociologue urbain Rachid Sidi Boumedine. Ghania Lahlouh qui n’a pas manqué de faire état d’une régression sociale dans le pays, malgré certains signes (économiques) contraires, a rappelé que l’architecture essaie d’élever à un niveau esthétique ce qui vient de la société, en insistant sur l’impact de l’environnement social, culturel et surtout institutionnel dans lequel s’inscrit le geste architectural. Samira Bounaira a rappelé l’importance de la sociologie en architecture, notamment dans l’habitat, et donc dans la formation même des architectes. Rachid Sidi Boumedine, quant à lui, a analysé le statut de l’architecte et son rapport au demandeur central qu’est l’Etat en démontrant sa «double domination» économique et politique par ce dernier. L’Etat, principal commanditaire et producteur de normes (notamment en matière de logements) déposséderait, selon l’orateur, l’architecte de son rôle d’acteur social de création et d’innovation en le réduisant au rôle d’exécutant des instructions de son commanditaire.
• Le regard de la profession, enfin, a été porté par les architectes Achour Mihoubi, Larbi Merhoum et Hasna Hadjilah, et l’urbaniste Tewfik Guerroudj. Ce dernier, ancien directeur de l’architecture au ministère de l’Habitat, a expliqué l’absence de qualité dans nos environnements construits, d’une part, par le mépris du contexte et, d’autre part, par la sous rémunération de l’ingénierie (les études) dans les projets et ce, depuis la promulgation de l’arrêté de 1988, qui confond architecture et maîtrise d’œuvre en bâtiment. Tewfik Guerroudj a rappelé l’importance de distinguer l’architecture de la construction, l’architecture «utilisant la construction pour lui donner du sens, pour faire parler et chanter les bâtiments ». Hasna Hadjilah l’a relayé en dénonçant clairement quant à elle l’absence, en réalité, de commande publique d’architecture au profit d’une commande de constructions (sans architecture), faisant référence à la pauvreté des cahiers des charges des concours et autres appels d’offres et aux critères de sélection essentiellement financiers adoptés dans le choix des projets, mettant en évidence la dichotomie entre la formation de l’architecte et son utilisation réductrice dans la pratique de la commande dans le contexte algérien.
Larbi Merhoum relie, quant à lui, le marasme urbanistique et architectural actuel à l’absence d’un réel projet de société dans le pays depuis les années 1980, tout en insistant sur le rôle d’acteur social de l’architecte, très sérieusement mis à mal par la logique rentière et les pratiques ultralibérales. Il a rappelé l’importance des notions de contribuable (du citoyen) et de performance (des décideurs et des élus) dans une société démocratique, et qui nous font défaut, dénonçant une politique de distribution de la rente et insistant sur l’importance d’une prise de conscience collective de la nécessité de l’architecture, sur la nécessité du bien vivre ensemble, sur la nécessité de construire une société.
Enfin, Achour Mihoubi s’est interrogé sur l’existence d’une consommation culturelle, au sens large du terme, qui puisse porter une volonté d’architecture en Algérie. Pour le président du SYNAA, le besoin d’architecture n’est pas que l’affaire des professionnels, mais surtout celle de toute la société, et cela devrait se traduire par une volonté politique au souffle long soutenue par des esprits éclairés. D’énormes programmes ont été réalisés ces dernières années à la faveur d’une aisance financière en l’absence totale de la parole publique soit-elle politique ou citoyenne. Or l’architecture et l’urbanisme sont des choses publiques et qui dit chose publique, dit projection politique portée par des arbitrages démocratiques dans l’exercice du pouvoir.
S’en est suivi un débat riche grâce au public nombreux qui a montré un grand intérêt pour les sujets développés par les différents intervenants avant que le chantre Nouredine Saoudi ne gratifie l’assistance de morceaux de musique andalouse illustrant de la meilleure manière qui soit son intervention.
L’ensemble des contributions feront l’objet d’une publication sous forme d’un dossier spécial dans un prochain numéro.